Libertarianisme.fr

Abolissons les brevets

L’existence d’un système de brevet, ou « propriété industrielle », est-elle légitime et nécessaire ? Dans cet article, nous montrons que non seulement le système de brevet de repose pas sur des droits légitimes, mais en plus qu’il est globalement néfaste pour le progrès technologique et la concurrence honnête.

Le système de brevets est-il légitime ?

Nous connaissons les droits de l’homme : la vie, la liberté et la propriété. Quand on parle de brevets on utilise aussi le terme de « propriété industrielle » comme s’il s’agissait d’une forme particulière de propriété, comme on serait propriétaire de sa maison, sa voiture… Pourtant, il s’agit d’une chose bien différente de la propriété classique. Si je dépose un brevet sur un moteur de mon invention, j’empêche mon voisin de construire et vendre un moteur utilisant la même idée (qu’il a peut-être eu lui-même indépendamment). Pourtant il ne fait qu’utiliser sa propriété, c’est-à-dire les pièces pour construire le moteur (qu’on suppose légitimement acquises) et sa liberté d’échanger quelque chose qui lui appartient. Le brevet me permet donc d’empêcher mon voisin de faire usage de ses droits fondamentaux.

Les brevets n’ont pas du tout une justification morale basée sur la propriété classique, mais sont au contraire en contradiction avec les droits fondamentaux que sont la liberté et la propriété. Pour plus d’informations sur cet aspect moral, vous pouvez lire le livre de Stephan Kinsella [3].

Peut-être mais n’est-ce pas un mal nécessaire ?

Vous pourriez me répondre qu’il s’agit là d’un argument théorique. Certes la propriété intellectuelle n’est peut-être pas fondée moralement, mais sans brevets nous serions encore au moyen-âge d’un point de vue technologique, non ? Les brevets ne sont-ils pas le prix à payer pour avoir une importante innovation comme aujourd’hui ?

Prenons un exemple historique qui a été un grand pas en avant pour la technologie : la machine à vapeur. Un des noms célèbres pour son avènement est James Watt, qui a inventé un système de régulation pour cette machine. Pendant le temps de validité de son brevet, il empêcha tous les concurrents de produire des machines à vapeur améliorées, prétextant qu’elles étaient basées sur son idée. Ce n’est donc qu’après l’expiration de son brevet qu’on assista à une véritable explosion technologique, avec une progression rapide de l’efficacité des machines à vapeur. Watt lui-même ne produisit que peu de machines pendant la validité de son brevet (il était trop occupé à attaquer en justice ses concurrents) mais commença une grande production après, quand la concurrence pu faire son effet [1, 3]. Cette anecdote montre que l’existence des brevets, loin d’encourager l’innovation, l’a au contraire retardée ici.

Sans brevet à la clé, pourquoi innover ?

Cette question est souvent posée. Selon cet argument, si on ne peut pas déposer de brevet, n’importe qui pourra imiter une invention et faire tous les profits à la place de l’inventeur. Plus personne ne voudra donc innover dans ces conditions.

Pourtant, même sans brevet, il y a encore un grand intérêt à innover. Déjà parce qu’il est très intéressant d’être le premier sur le marché. En attendant que les concurrents imitent l’invention, on peut déjà en vendre un grand nombre à prix élevé, et donner à l’entreprise une grande réputation en faisant connaître le produit.

D’autre part, il faut voir que si les brevets n’existaient pas, on pourrait toujours utiliser le secret industriel pour empêcher les concurrents de copier l’invention. Dans la plupart des industries, le secret est même considéré comme plus efficace que le brevet pour protéger une invention, sauf dans l’industrie pharmaceutique et celle des appareils médicaux où le secret et l’utilisation de brevet jouent tout les deux un rôle aussi important [2a].

Remarquez, au passage, que l’utilisation du secret est bien plus juste. Si deux inventeurs ont la même idée simultanément, ils pourront tous deux tirer profit de leur invention en utilisant le secret. Par contre, avec les brevets, le premier à le déposer gagnera tout et l’autre ne pourra pas vendre son invention sauf s’il paye des royalties à l’autre inventeur, alors même qu’il n’a rien copié.

Les logiciels : une immense innovation sans brevets

Ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’innovation sans brevets devraient regarder du côté des logiciels. Le développement des logiciels informatiques est, comme vous l’avez sans doute remarqué, un domaine d’innovation intense qui a fait des progrès spectaculaires durant les 30 dernières années. Pourtant, tout cela s’est fait sans la protection offerte par les brevets. En effet les brevets logiciels n’ont été reconnus aux États-Unis qu’en 1996 et ne sont pas valables en Europe. Cela n’a pas empêché le progrès dans ce domaine. En fait, il faudrait dire l’inverse : grâce à l’absence de brevets, ce domaine a pu connaître un progrès spectaculaire. En réalité, beaucoup de brevets déposés aujourd’hui sur des logiciels ne sont pas déposés par leurs réels inventeurs et sont d’une validité douteuse, mais leur récente apparition permet à ces mêmes imposteurs de faire chanter de façon malhonnête d’autres inventeurs, empêchant ainsi la création de nouvelles technologies et logiciels.

Le mal fait par les brevets

Mais venons-en au pire. Non seulement les brevets ne sont pas nécessaires à l’innovation, mais ils ont un impact néfaste sur elle. En effet, les entreprises qui innovent perdent plus d’argent à cause des brevets (procès, juristes qui examinent et les brevets) et en procédures (dépôt de brevet, conseils juridiques…) que ce que les brevets leur rapportent de profit supplémentaire. Autrement dit, les entreprises gagneraient plus d’argent si les brevets n’existaient pas [1]. La seule exception est l’industrie pharmaceutique (mais nous en reparlons plus loin).

À qui profite le système ?

Si on s’intéresse à l’histoire, on trouvera que beaucoup de domaines sont comme l’informatique. Une grande explosion technologique a lieu, en l’absence de propriété industrielle. Ensuite, lorsque l’innovation ralentit, les grandes entreprises font du lobbying auprès des politiques pour obtenir une protection par brevets afin de garantir leur monopole. Regardez Microsoft aujourd’hui, ils déposent un nombre astronomique de brevets logiciels. Pourtant, si les brevets logiciels avaient existé au début, ils n’auraient sans doute pas pu reprendre l’idée d’Apple concernant l’interface graphique quand ils ont créé Windows (Apple avait elle-même repris l’idée de Xerox PARC). Une chance qu’il n’y avait pas de brevets à l’époque et que la concurrence ait pu jouer son rôle !

Les grandes entreprises ont aujourd’hui compris que les brevets empêchent l’innovation. En effet, il y a tellement de brevets que n’importe qui souhaitant créer une invention va nécessairement violer des centaines de brevets déposés par d’autres précédemment. Il suffit de s’arranger avec les inventeurs me direz-vous… Mais comment trouver parmi des millions de brevets lesquels votre invention peut violer sans même que vous le sachiez ? Pour éviter ce problème, les grandes entreprises ont créé des « patents pools ». Elles mettent tous leurs brevets dans un « pot commun », c’est-à-dire qu’elles s’autorisent les unes les autres à utiliser leurs brevets, sans avoir à négocier au cas par cas. Autrement dit, ces entreprises se rendent compte que les brevets sont néfastes et en quelque sorte abolissent la propriété industrielle entre elles. Tout le monde est content… sauf ceux qui ne font pas partie du club ! Pas terrible pour la concurrence tout ça.

Et les médicaments ?

Le cas de l’industrie pharmaceutique est souvent cité comme argument pour la propriété industrielle. Selon l’argument pro-brevet, créer un médicament coûte une fortune alors que copier un médicament existant ne coûte presque rien. Si les brevets n’existaient pas, plus personne ne créerait de médicaments, car dès qu’un médicament serait mis sur le marché, il serait immédiatement imité et la « copie » se vendrait beaucoup moins cher, puisqu’il n’y aurait pas à financer la recherche pour la créer.

En fait cet argument n’est pas vrai. Tout d’abord, « copier ne coûte presque rien » est une affirmation fausse. En fait, le coût pour le copieur est de 2/3 du coût original [1], ce qui est certes inférieur, mais beaucoup moins intéressant. L’inventeur original aura toujours l’avantage d’être le premier sur le marché et d’avoir pu ainsi se faire connaître (par la publicité) comme l’inventeur.

Il faut savoir par ailleurs que l’industrie pharmaceutique dépense beaucoup pour créer des médicaments presque identiques à leurs concurrents, pour éviter de violer leurs brevets justement. Cela représenterait même 68% des médicaments aux États-Unis [1]. Ce travail serait inutile en l’absence de brevets, ce qui diminuerait le coût des médicaments.

Si on regarde l’histoire, on remarquera qu’en Italie, les médicaments n’étaient pas protégés par des brevets jusqu’en 1978. Pourtant cela n’empêchait pas l’Italie d’avoir une production de médicaments comparable aux autres pays. Si on revient encore en arrière, vers 1900, l’industrie allemande de médicament (pensez à Bayer) s’est développée à une époque où les médicaments n’étaient pas brevetables en Allemagne, alors qu’ils l’étaient en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis [2]. Par exemple l’aspirine, découverte par Bayer, n’était pas protégée par un brevet en Allemagne. C’est donc l’industrie du pays sans brevets qui a écrasé celle des autres. La Suisse a également bénéficié de l’absence de brevets à la même époque (ex : Roche).

Par ailleurs, un coût important vient des études requises pour l’autorisation de mise sur le marché. Le brevet sert alors plutôt à protéger contre un concurrent qui profiterait, non pas de la découverte du médicament, mais du fait que les tests cliniques ont déjà été faits par l’inventeur.

Ce dernier argument est le moins mauvais pour défendre les brevets, et leur suppression nécessiterait de revoir le système d’autorisation de mise sur le marché. Mais retenez bien une chose importante : quand les partisans des brevets citent les médicaments comme argument, ils citent le cas précis où les brevets sont les moins néfastes. Mais l’industrie pharmaceutique est une exception, puisque c’est la seule où les entreprises sont en moyenne gagnantes à l’existence d’un système de brevets.

Si l’argument pro-brevet était vrai uniquement dans ce cas, cela signifierait qu’il faudrait garder les brevets dans l’industrie pharmaceutique, mais qu’ils pourraient être supprimés immédiatement pour tout le reste. On pourrait ensuite supprimer cette dernière forme de brevet en réformant le système d’autorisation de mise sur le marché.

Que faire alors ?

La solution à tous ces problèmes est très simple. Il faut supprimer purement et simplement le système de brevets. Les conséquences d’une telle suppression seraient :

Il est par ailleurs important de lutter pour que les brevets ne soient pas étendus à des domaines qui en étaient jusqu’à récemment indemnes, mais qui sont en train de devenir brevetables dans certains pays. Ces domaines sont en particulier les logiciels [4] et le vivant [5].

Références

[1] Contre les monopoles intellectuels – article sur Contrepoints – Cet article présente un résumé des arguments pratiques contre la propriété intellectuelle
[2] Against intellectual monopoly, Michele Boldrin et David K. Levine (en anglais)
   [2a] chapitre 3 – paragraphe « Profits without patents » (page 22 de ce PDF)
[3] Against Intellectual Property, Stephan Kinsella (traduction en français ici)
[4] http://stopsoftwarepatents.eu/
[5] http://www.no-patents-on-seeds.org/fr