Les routes et les communes

Comment les routes seraient-elles entretenues dans une société libertarienne, puisque les taxes ne serviraient plus à les financer ? Bien sûr, il existe déjà des autoroutes privées, financés par les péages, mais comment imaginer la même chose pour les autres routes ?

La société des routes de Libertaville

Actuellement, les routes sont entretenues au frais de la commune, qui prélève des taxes (taxe d’habitation, taxe foncière). Prenons l’exemple des routes d’une ville, que l’on appellera Libertaville. Si on imagine un pays libertarien, aucune taxe ne devrait être prélevée autre que celles nécessaires pour faire fonctionner la justice et assurer la sécurité. Comment alors financer les routes de Libertaville ?

Une première idée consiste à imaginer une société des routes privée, qui serait propriétaire des routes de la ville, et qui autoriserait l’accès à toutes les routes de la ville à condition de passer un contrat avec elle. Ce serait « en pratique » indispensable ne serait-ce que pour pouvoir se rendre dans sa maison. Evidemment les habitants se sentiraient probablement mal à l’aise que la société en question échappe à leur contrôle, car elle pourrait augmenter ses tarifs autant qu’elle veut étant donné que les habitants seraient obligés de payer pour aller chez eux. Cette idée qui marche pour les autoroutes (car personne n’a sa maison donnant sur une autoroute !) ne parait pas applicable ici.

La copropriété des routes de Libertaville

Une solution plus acceptable serait d’imaginer une copropriété des routes, c’est à dire que la société des routes appartient en partie à chaque habitant. Actuellement, certaines résidences sont propriétaires de leur rue et la gèrent collectivement. Chaque propriétaire a un droit de vote dans la copropriété. Si des travaux sont nécessaires, la décision est prise collectivement, et les coûts sont à la charge des copropriétaires (selon une répartition qu’ils ont convenu). Il ne s’agit pas d’une violation de leurs droits car ils se sont engagés par contrat lorsqu’ils sont entrés dans la copropriété. On peut aussi formuler cette solution en disant que les propriétaires des maisons sont actionnaires de la société du paragraphe précédent.

Peut-on avoir confiance ?

Puis-je avoir confiance dans cette copropriété des routes ? Si les autres membres décident à la majorité que toute personne doit être déguisée en pirate pour pouvoir utiliser la route, serait-je obligé de m’y conformer, ou d’abandonner mon droit de marcher dans la rue ? La société des routes peut-elle empiéter sur mes libertés en me faisant « chanter » sous prétexte qu’elle possède quelque chose dont j’ai absolument besoin ? À cela, les copropriétés existantes ont une solution : des statuts qui disent clairement ce que la société a le droit de faire et limite son action. Ainsi les statuts précisent que la société a pour objet l’entretien des routes. Si on veut modifier les statuts, une unanimité ou une large majorité (3/4 par exemple) peut être requise.

Ainsi, quand je décide d’acheter ma maison, et en même temps de passer un contrat avec la société des routes, j’ai la garantie que la société des routes ne peut pas m’imposer n’importe quoi, car le contrat (ou les statuts) précisent ses limites.

Et les tuyaux de gaz ? et d’eau ? Et les poteaux électriques ?

Si la route appartient à la société des routes comment faire passer les tuyaux de gaz ? Il faut les faire passer sur sa propriété. On peut imaginer que la société des routes se charge aussi de gérer ce qui passe sur et sous les routes, donc les tuyaux de gaz, d’eau et d’électricité. Elle peut bien sûr déléguer ça à une société experte en réseaux électriques, etc.

La société des routes de Collectiville

Imaginons une ville, Collectiville, qui elle aussi a une mairie minimale gérant seulement la police et la justice, mais où les habitants, nostalgiques de la gestion classique d’une ville, ont décidé de transformer leur société des routes en tout ce que fait une mairie classique. Pour cela ils ne « trichent » pas : ils ne violent aucun droit de personne au sens libertarien. Ils mettent simplement dans les statuts de leur société des routes les règles suivantes :

  • les dirigeants de la société sont élus pour 6 ans à la majorité des habitants
  • il n’y a dans les statuts aucune limitation de ce que la société peut décider

Ainsi, la société des routes de Collectiville peut créer des taxes sur l’électricité, donner des subventions aux associations humanitaires, financer une école, réglementer les engrais utilisés par les agriculteurs… Toutes choses n’ayant rien à voir avec les routes, mais on est en pratique obliger de lui obéir puisqu’elle menace si on n’obéit pas de refuser l’accès aux routes. Collectiville est finalement une commune classique où la « société des routes » décide exactement ce que déciderait une mairie classique.

Choisissez votre ville

Dans notre monde libertarien, nous avons donc imaginé deux villes, je peux choisir dans laquelle je vais habiter sachant que :

  • À Collectiville, la société des routes pourra financer 1001 autre choses que les routes et pourra lever les taxes qu’elle veut si une majorité est d’accord (même si je suis contre). Mais je peux penser qu’il serait agréable d’y vivre car la société des routes ferait des belles choses en plus, et je fais confiance à la sagesse des autres habitants pour décider collectivement.
  • À Libertaville, la société des routes restera dans son rôle spécifique, et j’ai la garantie qu’elle ne se mêlera de rien d’autre et me laissera toute ma liberté pour le reste, et aura des taxes ne servant qu’à financer ses routes et infrastructures (tuyaux, câbles…).

Le libertarianisme ça change quoi ?

Le libertarianisme, c’est le fait que les deux villes puissent exister, mais je peux très bien décider d’aller habiter à Collectiville, en décidant de renoncer à un peu de liberté pour plus de bien-être. Le problème dans notre système actuel est que l’État impose une fois pour toutes et partout le modèle de Collectiville.

Libertaville ne peut pas exister dans le système actuel. Pourquoi ? La société des routes pourrait vraiment exister après tout, ce n’est pas un problème. Le problème, c’est qu’une majorité de 51% des habitants de Libertaville pourrait voter à la mairie (pas à la société des routes !) de financer telle ou telle chose n’ayant rien à voir avec les routes, et taxer les habitants pour cela, y compris les 49% restants. Je ne peux pas aller habiter dans une ville garantissant une mairie minimale et une société des routes avec statuts limitant son pouvoir.

Dans un pays libertarien au contraire, les mairies des deux villes auraient toutes les deux un pouvoir limité, ou même pourraient ne pas exister du tout. Les sociétés des routes pourraient être différentes, dans un cas équivalent à une mairie classique avec un grand pouvoir, dans l’autre limité dans les statuts à une rôle bien précis.

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3 commentaires pour Les routes et les communes

  1. leto35 dit :

    Le but originel des routes (empire romain) c’était de pouvoir déplacer facilement l’armée. donc les routes font partie des fonctions régaliennes (justice, police, armée).

    • defclem dit :

      Ça ne veut rien dire. Déjà, les routes ne sont pas apparues dans l’empire romain, il y en avait déjà bien avant sur toute la planète. Et ce avant l’apparition des « états » à proprement parlé. De plus, considérer que quelque chose est régalien juste parce que l’Etat l’aurait inventé ou mis en place est plus qu’idiot. Admettons que l’Etat ait inventé la voiture pour transporter les détenus du palais de justice jusqu’à la prison. Le transport automobile ferait donc partie des fonctions régaliennes, et l’Etat en aurait le monopole de façon justifiée ?

  2. ça revient au même dit :

    Vous dites qu’il y a une « copropriété des routes » entre les propriétaires d’une ville. Moi je dit qu’il n’y a qu’à faire une « copropriété des routes » entre les propriétaires du pays.

    Tout la question est donc la celle des statuts de l’Etat. Pour moi, les routes font partis des fonctions régaliennes de l’Etat. Distribuer des aides sociales n’en fait pas parti.

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